Reyl : Lorsque le bully s’attaque au bon élève

Finance Corner - Justice Justice

Après 3 ans de rebondissements et de feuilleton politico-judiciaire, le jugement est enfin tombé dans l’affaire Cahuzac.

Jérôme Cahuzac écope ainsi de la peine maximale, soit 3 ans de prison ferme et 5 ans d’inéligibilité. Quant à la banque Reyl, elle reçoit une amende de EUR 1’875’000, mais échappe à l’interdiction d’exercer une activité bancaire en France. Enfin, François Reyl est condamné à titre personnel à 1 an de prison avec sursis et à EUR 375’000 d’amende.

Arrêtons-nous quelques instants sur la sentence qui frappe la banque et son dirigeant. Tout d’abord, il est important de rappeler que si le politicien socialiste a effectivement fraudé le fisc de son pays, l’argent qu’il a placé en Suisse, d’importance plutôt modeste, représentait le fruit d’un travail parfaitement licite et n’avait aucun rapport avec son activité politique. Le compte a d’ailleurs été ouvert et alimenté avant que Cahuzac ne devienne une « personnalité politiquement exposée ». Du point de vue de la réglementation suisse, cette situation était correcte et semblable à des milliers d’autres comptes ouverts dans des banques suisses. De fait, les juges ont admis que l’activité de la banque était conforme à la législation suisse en vigueur à ce moment-là, ce qui serait d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui.

En conséquence, on peine à comprendre la sanction qui frappe la banque Reyl et François Reyl lui-même. D’après le juge, la banque aurait été « l’instrument de la dissimulation des avoirs » de Cahuzac. Or, le coupable, cela ne peut être que celui qui utilise l’instrument et non pas l’instrument lui-même.

On peut aussi s’étonner qu’aucune des autres banques concernées, comme UBS, Julius Baer, Royal Bank of Scotland, BNP Paribas ou même la Banque Postale, n’ait été inquiétée. En effet, sur les EUR 3.5 millions dissimulés au fisc par le couple Cahuzac, seuls 600’000 ont été déposés temporairement chez Reyl.

Pourquoi donc sanctionner aussi durement un établissement qui a collaboré avec la justice et un dirigeant qui a eu le courage de se présenter lui-même face au juge? Naïvement peut-être, ils ont pensé qu’il suffisait de raconter la réalité des faits et de faire preuve de bonne foi pour être entendus. En réalité, ils se sont retrouvés dans un procès instruit à charge, où le seul rôle qu’on voulait leur faire jouer était celui du « méchant ». Alors qu’ils pensaient faire face à un tribunal objectif, ils se sont en réalité retrouvés dans une arène hostile.

Reyl appartient à une nouvelle génération de banque privée suisse qui n’a jamais misé sur le secret bancaire pour se développer. Au contraire, bien avant d’autres, elle a su prendre le virage de la gestion fiscalement conforme et se diversifier dans la gestion d’actifs.

Les juges pensent-ils qu’un tel exemple aura un effet dissuasif et incitera les autres banques suisses à changer de pratique ? Si c’est le cas, ils font fausse route. En effet, la réglementation a totalement changé depuis lors et les banques suisses n’abritent aujourd’hui plus d’argent non conforme. Une telle décision restera donc sans effet, puisque les ajustements ont déjà eu lieu.

C’est pourquoi, on ne peut s’empêcher de penser que si la justice française s’est attaquée de la sorte à ce bon élève de la place financière, c’est simplement parce qu’il s’agissait d’une proie facile sur laquelle le tyran de la cour de récréation pouvait s’acharner sans danger. Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de la cour vous rendront blanc ou noir…

L’autre hypothèse, celle selon laquelle ce jugement n’est que le premier d’une longue série, serait peut-être plus juste mais aussi plus inquiétante pour la place. Car on sait bien qu’il ne manque pas à Genève de banques privées bien plus importantes qui ont abrité pendant des siècles les comptes des grandes (et moyennes) fortunes françaises.