Ce sont quelque 150 personnes qui se sont pressées jeudi soir à la conférence annuelle du consultant genevois Kasavi Advisory, consacrée cette année aux fusions & acquisitions et aux partenariats stratégiques dans l’industrie de la gestion indépendante suisse.
Situation actuelle
Comme c’est devenu l’habitude, la présentation a débuté par un état des lieux du secteur de la gestion de fortune en Suisse.
Du côté des banques privées, l’attrition des dernières années s’est poursuivie en 2025. Ainsi, alors qu’on comptait en 2010 156 banques privées en Suisse, elles n’étaient plus que 99 en 2018. Cette baisse régulière du nombre d’établissements s’est poursuivie depuis pour atteindre 85 en 2024 et 83 en 2025. Les causes de ce recul sont bien connues: la disparition du secret bancaire – qui a causé le retrait de notre pays de nombreuses banques étrangères – et la pression sur les marges, qui a entraîné une vague de consolidations.
On observe avec quelques années de retard le même mouvement dans les rangs des gérants indépendants, avec l’impact additionnel des nouvelles exigences réglementaires de la FINMA, ainsi que du départ à la retraite de nombreux fondateurs. Ainsi, alors qu’on dénombrait environ 2’500 gérants indépendants en 2018, ils ne sont plus que 1’482 en 2025.
Les défis à relever ne manquent pas pour les GFI
Outre les soubresauts des marchés auxquels ils sont confrontés tous les jours, les gérants indépendants doivent également faire face à plusieurs défis majeurs pour espérer se développer, voire tout simplement conserver leurs acquis.
Le premier est celui bien connu de la taille critique, nécessaire pour absorber les coûts sans cesse croissants et parvenir à rester compétitifs en termes d’offre des services et d’adoption des nouvelles technologies. En faisant front seul, le gérant indépendant conserve certes 100% de ses revenus, mais subit de plein fouet la baisse des marges et limite son potentiel de croissance, en raison de la difficulté à renouveler sa clientèle. En revanche, en s’unissant avec d’autres partenaires, il peut partager les coûts et créer des synergies, s’ouvrant ainsi des opportunités de développements.
Le second challenge est lié à la transition générationnelle. Les clients historiques sont remplacés par une nouvelle clientèle plus jeune, plus connectée et plus exigeante. Pour répondre à leurs attentes, il faut donc que ce renouvellement générationnel se produise également au sein des sociétés de gestion, avec un rajeunissement indispensable des équipes. Un fondateur s’approchant de la retraite doit donc absolument avoir un plan pour l’avenir et le communiquer. Faute de quoi, ses clients et ses équipes se poseront immanquablement des questions qui, si elles restent sans réponse, génèreront de l’incertitude et des spéculations.
Un troisième défi, souvent oublié, est celui de l’indispensable renforcement de l’esprit entrepreneurial chez les GFI. En effet, si les valeurs de conservatisme et de stabilité de la Suisse sont souvent un atout, il faut bien admettre que notre pays n’encourage guère l’esprit d’entreprise et l’ambition. Or, dans ce domaine comme dans d’autres, s’il arrête de pédaler et d’avancer, le cycliste finit par chuter.
La Suisse plus attrayante que jamais
Heureusement, contrairement à ce que certains pourraient imaginer, de très nombreux acteurs étrangers rêvent de s’implanter en Suisse, qui reste particulièrement une place attractive et toujours rassurante en cette période de forte instabilité géopolitique.
De fait, les grandes fortunes internationales sont toujours intéressées à déposer des avoirs dans notre pays, que ce soit pour des raisons de diversification des risques ou parce qu’elle se délocalisent. Par exemple, il peut s’agir de Scandinaves, inquiets des volontés hégémoniques de la Russie et qui préfèrent placer une partie de leur fortune en Suisse à titre de précaution, ou de Français quittant leur pays pour s’établir dans notre pays et qui doivent donc ainsi y déplacer également leurs placements, ne serait-ce que pour justifier qu’ils n’ont plus d’intérêt prépondérant dans l’Hexagone.
Les GFI étrangers sont donc intéressés à pouvoir offrir à leurs clients une solution helvétique, ce qui permet aux gérants indépendants locaux de nouer des partenariats.
Ces alliances ont d’autant plus de potentiel que ces gérants étrangers ont dû développer un savoir-faire commercial sans l’aide du secret bancaire, ce qui peut s’avérer fort utile.
Les dernières opérations de M&A
Cette année, ce sont déjà 12 transactions qui ont été rendues publiques et 10 qui sont encore attendues d’ici la fin de l’année. A ces chiffres, il faut naturellement ajouter les très nombreuses opérations qui ne sont pas annoncées et passent donc inaperçues.
Concernant Genève, les transactions publiées en 2025 sont les suivantes:
- Achat de GPM – Gestion de Portefeuille Modulée par Cité Gestion
- Achat de Cité Gestion par EFG International
- Achat de la majorité d’Alpha Leonis Partners par 1875 Finance
- Reprise des activités de Private Equity d’Unigestion par Sagard
Case study: fusion JAR Capital – Lyra
Comme d’habitude, la conférence s’est conclue par l’examen d’un cas concret : celui de la fusion entre la filiale singapourienne du gérant indépendant genevois JAR Capital et la société de gestion singapourienne Lyra Capital.
Co-fondée en 2016 et dirigée par Gérald de Senger, JAR Capital offre des services de gestion de patrimoine à des familles, des entrepreneurs et des institutions depuis ses bureaux en Suisse, à Monaco, à Dubaï et à Singapour.
De son côté, Lyra Capital est un multi-family office fondé en 2007 à Singapour par Charles Monney. L’un des acteurs pionniers de la région, Lyra a connu une forte croissance en Asie et s’est également développée au Japon, notamment grâce à un actionnaire minoritaire nippon,
Charles Monney souhaitant trouver un repreneur, il a chargé Kasavi Advisory de préparer un dossier et de lui proposer des repreneurs potentiels en Suisse. En parallèle à ce processus, Charles Monney a fait la connaissance à Singapour de Gérald de Senger, avec qui une bonne relation s’est rapidement créée. En conséquence, JAR Capital a intégré la liste des candidats à la reprise.
Même si les deux dirigeants avaient un contact personnel direct, Kasavi Advisory a joué un rôle important pour mener l’opération à son terme. En effet, hormis la préparation du dossier complet et de tous les documents nécessaires à la due diligence, le recours à un consultant a permis de déterminer la valorisation juste de la société et, en introduisant d’autres acquéreurs, a fait jouer la concurrence et ainsi permis au vendeur de comparer plusieurs offres puis de choisir la meilleure. Enfin, et c’est loin d’être négligeable, cela a permis de garder le momentum et un certain rythme pour que le processus progresse régulièrement sans s’enliser.
Après les premières discussions en juillet 2023, un accord a été trouvé dès le mois de décembre 2023. Il a fallu ensuite présenter le projet et impliquer les personnes clés de la société, un élément essentiel au succès de l’opération. La term sheet a finalement été signée en décembre 2024. Une fois cette étape franchie, il a ensuite fallu obtenir l’accord des régulateurs singapouriens avant de conclure définitivement la transaction en juillet 2025.
Comme toujours, c’est le « fit » culturel, la complémentarité et l’inclusion de toutes les parties prenantes qui ont permis la réussite du projet.
Cette reprise permet à JAR Capital d’atteindre USD 1 milliard d’actifs en gestion à Singapour. Les effectifs de la filiale singapourienne de JAR Capital vont doubler pour atteindre 18 personnes.
Charles Monney jouera un rôle dirigeant dans JAR Capital, notamment en tant qu’administrateur.